Épilogue


Jeudi 2 janvier 2003, jour 105 (suite)
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    Escale à Istanbul. Premiers au revoir : Colette, Micheline, Philippe Co., dur, dur. Dans l'avion qui nous ramène à Paris : Éliane, Sandrine, Albert et moi-même. Atterrissage à Orly. Chacun récupère ses bagages. Marie est là. Elle a un peu de mal à me reconnaître. Quinze kilos de moins… et un peu desséché ! Les dernières nuits ont été très éprouvantes. Je dois avoir une tête à faire peur. Derniers au revoir. Rupture du groupe. Très très dur. Très très rapide…
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    Marie me conduit à Ris-Orangis. Je suis bien sûr très heureux de la retrouver après plus de trois mois d'absence. Mais en même temps je suis si triste. J'avais un rêve : traverser le Sahara. J'ai réalisé mon rêve, mon rêve est mort…
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    « Cette illusion qu'on peut approcher de la vérité par un voyage, je l'ai perdue depuis longtemps. »
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    Teilhard de Chardin.
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    «  - Tu vas donc là-bas ? Comme tu seras loin…
gif transparent - Loin d'où ? »
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    Antoine de Saint-Exupéry.


Vendredi 3 janvier, Ris-Orangis
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    Nostalgie, étymologiquement : « douleur du retour ». Presque un deuil. Terme sans doute très excessif mais qui décrit bien ce que je ressens profondément.


Lundi 6 janvier, Noisy-le-Grand
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    Cravate. Une heure et demie d'embouteillages. Entrée du parking souterrain. Me voici de nouveau happé par le Système. J'ai un peu de mal à comprendre l'importance de certaines tâches : je « travaille  » !


Mardi 7 janvier, Ris-Orangis
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    Je lis L'alchimiste, de Paulo Coelho [1] :
    « J'ai peur de réaliser mon rêve et n'avoir ensuite plus aucune raison de continuer à vivre.
    […] Peut-être le désert pourrait-il lui expliquer l'amour sans possession.
    […] Les sages ont compris que ce monde naturel n'est qu'une image et une copie du Paradis. Le seul fait que ce monde existe est la garantie qu'existe un monde plus parfait que lui. Dieu l'a créé pour que, par l'intermédiaire des choses visibles, les hommes puissent comprendre Ses enseignements spirituels et les merveilles de Sa sagesse.
    […] Dis-lui que la crainte de la souffrance est pire que la souffrance elle-même. Et qu'aucun cœur n'a jamais souffert alors qu'il était à la poursuite de ses rêves, parce que chaque instant de quête est un instant de rencontre avec Dieu et avec l'Éternité. »


Mardi 18 février, Paris
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    La Villette, au Cabaret Sauvage : concert Quatre voix d'Afrique contre la dette avec Tiken Jah Fakoly, Lokua Kanza, El Hadj N'Diaye et Teofilo Chantre. Sous le cha-piteau, la salle est ronde. À sa périphérie, des tables. Amusant de voir et d'entendre chanter Le balayeur balayé en direct… Debout sur la banquette, je danse !


Vendredi 14 mars, Ris-Orangis
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    Je termine la lecture de Terre des hommes, d'Antoine de Saint-Exupéry [2] :
    « Chacun de nous a connu les joies les plus chaudes là où rien ne les promettait. Elles nous ont laissé une telle nostalgie que nous regrettons jusqu'à nos misères, si nos misères les ont permises. »


Dimanche 16 mars, Ris-Orangis
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    Lu en soirée Courrier sud, du même auteur [3]  :
    « Mais dis-moi donc ce que je cherche et pourquoi contre ma fenêtre, appuyé à la ville de mes amis, de mes désirs, de mes souvenirs, je désespère ? Pourquoi, pour la première fois, je ne découvre pas de source et me sens si loin du trésor ? »
    « Trésor », celui de l'Alchimiste peut-être…


Dimanche 23 mars, Ris-Orangis
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    La guerre a démarré depuis plusieurs jours en Iraq.


Lundi 31 mars, Noisy-La Défense
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    Je suis dans le RER, entre Noisy-le-Grand et La Défense. Dans les longs tunnels noirs, je somnole. Je rêve au soleil et au bonheur perdu de la Grande Caravane © Saharienne. À tous les moments difficiles, à tous les moments heureux. À pied, entre la Coupole et la tour Descartes, mon portable sonne. Le vent est froid. Il y a beaucoup de bruit de circulation. C'est Laurence – alias Toblerone – qui me donne de ses nouvelles depuis Genève. Je reste planté là. Le téléphone dans une oreille, une main sur l'autre. J'entends mal. J'oublie le présent. Toute la Mauritanie me danse dans la tête…


Du samedi 5 au samedi 19 avril, traversée de la Tadrart libyenne en randonnée chamelière
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    Samedi 5 avril : Orly-Tunis, Tunis-Tripoli. Surprise de reconnaître Abichini qui nous accueille. Nous ne dormirons pas à Tripoli : un avion part à Sabha dans quelques instants. Il nous donne les billets. Nous voilà repartis pour le troisième vol de la journée ! Abichini reste à Tripoli. À l'arrivée, c'est Mabrouk, l'un de ses neveux, qui nous conduit en voiture à Germa où nous passons la nuit dans un hôtel-campement très correct.
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    Dimanche matin, visite du vieux Germa, la cité des Garamantes. Nous y étions déjà venus en 1999 lors de notre premier séjour au Sahara… Puis Ghat. Jonction avec Souleymane – le guide qui avait accompagné Marie fin octobre 2002 – et Ali, le cuisinier. Rissa, autre neveu d'Abichini, sera le conducteur du 4 x 4 pour les liaisons de début et fin de randonnée. Visite de la médina et de l'agence, toute petite. Nous repartons, bien au sud de Ghat, tout près de la frontière algérienne, et rejoignons le reste de l'équipe : les deux chameliers, Alfaqir et Moussa, ainsi que leurs cinq magnifiques chameaux. La randonnée de dix jours commencera demain lundi. Marie et moi sommes les deux seuls « touristes » : une chance extraordinaire !
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    Du 7 au 16 avril, nous remontons vers le nord à travers la Tadrart Akakus. Les pauses de midi et les bivouacs sont réglés par la présence de pâturages pour les chameaux, les puits et, bien sûr, les distances à parcourir à pied : entre dix et quinze kilomètres par jour. Au fur et à mesure que les jours passent, la température monte… Siestes obligées de midi à seize heures, avec des pointes à 42° sous abri. Le vent est chaud. Heureusement, les grottes et auvents sous roche sont nombreux car les acacias fournissent une ombre bien chiche.
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    Peintures, gravures rupestres. Nombreuses traces d'animaux dans le sable. Souleymane nous apprend à les décoder : chacals, chacal blessé à la patte, mouflons, « lits » de mouflon, serpents, gerbilles dont nous calculons le bond record : un mètre quatre-vingt, souris, antilope (une), fennecs, lièvres, chamelon d'un jour. Grande variété de plantes, souvent en fleurs. Nuits à la belle étoile.
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    Et au fur et à mesure que la température monte, les vipères se manifestent. Pas sympathiques du tout… car franchement mortelles ! Lors d'une pause, nous allions nous asseoir sur un rocher quand Marie nous dit calmement et le plus naturellement du monde :
    – Tiens, il y a une vipère juste à côté de vous !
    Nous n'avions rien vu…
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    La marche se déroule très bien, en partie grâce à l'expérience acquise lors de la Grande Caravane © Saharienne. Quinze kilos de moins à « porter », c'est appréciable… Très efficaces aussi les sachets de GES 45 pour gérer au mieux la déshydratation. Marie suit fort bien le rythme, bien que retardée par les prises de photo : cette fois-ci, c'est elle la photographe de service. Les paysages sont fabuleux.
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    L'un des chameaux est particulièrement familier et gourmand. Mine de rien, il s'approche de la « cuisine » ou de la « salle à manger ». Lors de certains bivouacs, nous avons presque les cinq bêtes dans notre « chambre à coucher » ! Quand nous nous réveillons la nuit, ça fait une présence et surtout du bruit, car elles ruminent…
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    Les repas du soir se font en commun. Curieux d'être un « groupe » de deux. De temps en temps, une souris nous passe entre les jambes pour venir voler un morceau de nourriture. Un beau matin, nous entendons un cri lugubre : Moussa vient d'égorger le lièvre qui s'était pris cette nuit dans le piège qu'il avait posé.
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    Bien entendu, il a… plu ! Pas beaucoup mais assez pour admirer un bel arc-en-ciel en soirée. Et nous embêter la nuit (nous ne montons pas de tente). Sur la fin de la randonnée, tempêtes de sable, moyennes à fortes. Durant tout le parcours, le ciel est souvent voilé le jour et nuageux la nuit. Hygrométrie : 20 %, quasiment constante. C'est Marie la météorologue ; la température plus le taux d'humidité : je suis battu ! Le soir, nous écoutons le bulletin d'informations sur un petit poste à piles, RFI en ondes courtes (on n'est pas radioamateur pour rien…). Échanges de vues sur les événements en Iraq.
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    Jeudi matin 17 avril, Aouis, nous montons dans le 4 x 4 qui nous a rejoints. La saga du retour commence… Arrêt à Al Aweynat (Serdeles) pour la douche. Achat de cartes postales. Nous quittons notre équipe et retrouvons la voiture de Mabrouk jusqu'à Sabha où nous devons prendre un avion pour Tripoli « en soirée », vers vingt et une heures. Mabrouk fait ses courses, une dizaine de boutiques afin de trouver une pièce pour sa voiture : une antenne ! Puis dîner dans un petit restau sympa. Pour Marie, le même qu'en octobre 2002. Avec inquiétude, nous voyons l'heure tourner. À une demi-heure seulement du départ de l'avion, nous arrivons à l'aéroport. Nous y attendons… jusqu'à 23h30… un hypothétique avion qui ne viendra jamais. En effet, parti de Tripoli, il a dû faire demi-tour. À cause des vents de sable, je suppose. Mabrouk s'enquiert de notre programme. Il en conclut que nous devons partir tout de suite pour Tripoli… en voiture ! Nous arrivons à une « station » de taxis et les négociations commencent. L'un de ces taxis semble d'accord. Marie et moi nous asseyons à l'arrière. Les palabres se prolongent encore pendant plus d'une heure !
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    Nous voilà partis pour une nuit presque blanche. Heureusement, nous avions rempli nos gourdes au robinet des toilettes de l'aéroport. Vive le Micropur ®  ! Notre conducteur a un copilote qui lui tient compagnie. Radio, K7, discussions et cigarettes les tiennent en alerte… Nous sommes parfois réveillés par de brusques coups de frein : des congères sur la route ou des vents de sable qui créent un véritable brouillard, opaque et soudain. Arrêts pipi ou pour faire le plein d'essence. Nos deux compères ne nous ont pas adressé le moindre mot depuis le départ. Ils ne se sont même pas retournés une seule fois ! Nous nous sentons considérés comme des paquets urgents à ache-miner : drôle d'impression. À l'occasion d'une pause, ils nous offrent cependant du jus de raisin et un paquet de biscuits. Le moral remonte en flèche… Nous arrivons à Tripoli vers huit heures du matin, sous une pluie battante. Notre chauffeur doit téléphoner pour prendre connaissance du lieu de rendez-vous. Arrêt dans un taxiphone. Après un peu de recherche, nous arrivons à l'hôtel convenu et disons au revoir à notre taxi !
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    Comme il n'y a personne à ce rendez-vous, nous décidons de prendre un « extra breakfast », à la grande inquiétude du serveur. Il se demande si nous pourrons payer et il s'étonne que nous ne puissions fournir aucun numéro de chambre. Comme il ne parle que l'arabe, un client tunisien vient nous aider et fait l'interprète. Effectivement, notre look laisse un peu à désirer. Et voici qu'apparaît… Mohamed Khalifa ! Nous nous reconnaissons immédiatement. C'était notre chauffeur lors de la traversée de la Libye pendant la Grande Caravane ©… Et il était aussi présent lors du voyage de Marie en octobre 2002. Nous parlions d'ailleurs chacun d'un Mohamed sans réaliser qu'il s'agissait de la même personne. Il nous propose une chambre à l'hôtel pour nous doucher et arrange tout, y compris les petits déjeuners : parfait !
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    À onze heures, départ vers Djerba. Nous « séchons » Sabrata que nous avons déjà vu chacun deux fois. À la frontière Libye-Tunisie, je me mets au volant pour avancer dans la queue tandis que Mohamed effectue les formalités de son côté. Les contrôleurs libyens imaginent donc que c'est mon véhicule personnel et en déduisent que je travaille à Tripoli. En conséquence, ils ont bien du mal à comprendre pourquoi nous avons tous ces bagages dans la voiture. Un douanier me demande d'ouvrir le coffre arrière. Il souhaite maintenant examiner l'un de nos sacs de voyage. Mais il aperçoit un grand bâton blanc et m'interroge à son sujet. Je lui explique que c'est du « calotropis procera », que c'est le bâton de marche de Madame. Visiblement nous ne parlons pas la même langue ! Alors, pour me faire comprendre, je me mets à arpenter la zone de contrôle avec la canne, tout en mimant l'ascension d'une dune… de sable mou, bien sûr. Je m'aperçois tout à coup que le douanier parle le français. Nous rigolons bien et tout s'arrange. Mohamed revient. En une heure, les formalités sont terminées. Nous voilà en Tunisie.
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    Pique-nique sur le pouce, ou plutôt assis sur les talons, au bord de la route… Il faut dire que Mohamed a été prévenu de notre arrivée dès… trois heures du matin et qu'aujourd'hui, c'est vendredi. Jour de repos, normalement. Il a donc hâte de rentrer chez lui. Arrivée à Djerba. Hôtel très sympa : Dar Faïza. Marie me fait visiter : elle connaît ! Nuit bien courte après la nuit blanche précédente : demain, nous devons rejoindre l'aéroport à quatre heures du matin. Heureusement, Marie pense au changement d'heure entre la Libye et la Tunisie : nous gagnons une heure de sommeil. Vol Djerba-Tunis dans un coucou à hélices puis Tunis-Orly. Un dernier taxi nous amène à Ris-Orangis sous un beau ciel bleu. Il fait un peu moins chaud : 11°. On ne peut pas tout avoir…


Samedi 24 mai, Ris-Orangis
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    « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait. »
    Nicolas Bouvier [4].


Jeudi 25 décembre, Ris-Orangis
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    Je tourne les pages de mon cadeau de Noël, L'art de l'Islam [5]. J'y découvre cet extrait des Quatrains d'Omar Khayyâm, immense poète persan des XIe et XIIe siècles :
    « Puisque rien autre que le vent vide ne reste de toute
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gif transparent Puisque défaite et vaincue tombe à la fin toute chose,
gif transparent Réfléchis bien : toute chose qui est n'est en réalité
gif transparent rien ;
gif transparent Médite bien : toute chose qui n'est rien est en réalité
gif transparent tout. »

    Alors, « Pourquoi tout plutôt que rien ? ». Parce que c'est pareil !
    Je dois repartir…



[1]. COELHO Paulo, L'alchimiste, traduit du portugais (Brésil) par Jean
gif transparent Orecchioni, Paris, Anne Carrière, 1994.
[2]. SAINT-EXUPÉRY Antoine de, Terre des hommes, Paris, rééd.
gif transparent Gallimard, coll. « Folio », 1971.
[3]. —, Courrier sud, Paris, rééd. Gallimard, 1972.
[4]. BOUVIER Nicolas, L'usage du monde, dessins de Thierry Vernet,
gif transparent Paris, rééd. Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot /
gif transparent Voyageurs », 2001.
[5]. MOZZATI Luca, L'art de l'Islam, traduit de l'italien par Denis-Armand
gif transparent Canal, Paris, Mengès, 2003.


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